vendredi 28 juillet 2017

Migrants: Emmanuel Macron veut des centres d'accueil sur le sol africain



Le président Emmanuel Macron, jeudi 27 juillet à Orléans, où il a exposé une politique ambitieuse pour régler la crise des migrants,


© Michel Euler / POOL / AFP

En déplacement à Orléans, jeudi 27 juillet, Emmanuel Macron a esquissé les contours de la politique migratoire de la France durant son quinquennat avec un distinguo clair entre réfugiés politiques et migrants économiques.

Emmanuel Macron souhaite faire le tri entre migrants économiques et réfugiés. Il entend donc accélérer les procédures de demande d'asile. Le président français dit vouloir ramener les délais à 6 mois au lieu d'un an à 18 mois aujourd'hui en France.

Les demandes d'asile seront même prétraitées en dehors du territoire français dans des hotspots, c'est-à-dire des centres d'examen. En Italie, où arrivent la plupart des migrants qui posent le pied en Europe, mais aussi en Afrique. Dans des « pays sûrs » selon le terme du président, des Etats tiers proches du pays d'origine. Il est question du Niger ou d'ailleurs, un centre pour les migrants en transit existe à Agadez. Du Tchad aussi.

Le problème ce n’est pas seulement comment les arrêter, il faut trouver une solution pérenne à cette situation. La solution pérenne, c’est se développer. C’est trouver du travail pour notre jeunesse, un appui sérieux et sincère de l’Europe à l’Afrique, c’est très important.
Hotspots en Afrique: le Tchad d'accord sur le principe, à condition de favoriser le développement 
Mais surtout, le président a indiqué que la France installerait des hotspots en Libye, quand les conditions de sécurité le permettront. Pour ces trois pays, une mission de faisabilité devrait être lancée fin août, indique l’Élysée.

Emmanuel Macron a insisté. Il souhaite le concours de l'Europe, même si un certain nombre d’États européens sont réticents à ces hotspots.

Ensuite, quelques questions restent posées : qu'adviendra-t-il des migrants qui ne seront pas refoulés dans ces hostspots, c'est à dire qui pourront prétendre au statut de réfugié politique ? Seront-ils pris en charge ou les laissera-t-on reprendre leur route?

Amnesty International dénonce la vision binaire de Macron dans le traitement de la migration

A l'inverse, le président a promis de rendre plus efficaces les reconduites à la frontière pour les déboutés du droit d'asile. Comment ? Là non plus, pas de précision.
Si l'idée du président français n'est pas nouvelle, elle consiste surtout à dissuader les personnes non éligibles à l'asile de ne pas quitter l'Afrique, et de trouver un point de chute sur le sol africain.

Mais ces mesures sont décriées par les organisations humanitaires. Amnesty International demande à la France de reconsidérer radicalement toute sa politique migratoire. « Il y a dans ce discours, et c’est une continuité depuis qu’il est candidat, cette opposition un peu binaire malheureusement entre d’un côté les réfugiés, pour lesquels on déploie des moyens et des efforts qui sont conformes aux obligations que doit remplir la France en tant qu’État, et les migrants économiques. En réalité, réduire la migration à ces deux seules catégories est un peu faux, regrette Jean-François Dubost, du programme de protection des populations à Amnesty.

Parmi les migrants, il y a effectivement des personnes qui vont se déplacer pour des raisons économiques ou de travail, mais d’autres qui vont se déplacer pour des raisons familiales - ça rejoint d’ailleurs un certain nombre de droits fondamentaux des personnes à pouvoir rejoindre leurs familles et vivre en famille. Il y a aussi d’autres motifs de migration comme les études. Donc, simplement opposer aux réfugiés des migrants économiques dont on ne veut pas, pour lesquels il faut accélérer l’éloignement, le renvoi dans les pays, c’est quand même biaiser le regard qu’une population peut avoir sur les migrants en général. Une approche uniquement fondée sur le renvoi des migrants, ça fait à peu près 20-25 ans qu’on l’applique et ça ne produit pas de bons effets. »

Quelque 470 associations ont formulé une demande de rencontre avec le chef de l'Etat autour de cette question.

Nombreuses réactions après les  annonces du président Macron


Le 17 avril 2016, un canot pneumatique est en passe de sombrer avec quelques dizaines de migrants. En arrière plan, l'imposant «Aquarius» de SOS Méditerranée a repéré l'embarcation.
© Patrick Bar / SOS Méditerranée


Des questions subsistent encore après les annonces d'Emmanuel Macron sur sa politique migratoire. Dans un discours prononcé jeudi, le président français a clairement distingué les réfugiés politiques et les migrants économiques. Il veut examiner les demandes d'asile «en amont», directement sur le terrain dans ce qu'on appelle des «hotspots», des centres d'examen. L'Elysée dit avoir identifié des zones dans le sud libyen, le nord-est du Niger, et le nord du Tchad pour installer des centres de l'OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Une nouvelle mesure qui suscite des commentaires.

L’annonce de ces hotspots, centre d’examen pour migrants, a été largement commentée. Parmi les pays concernés, il y a le Tchad. Pour le ministre tchadien des Affaires étrangères, la priorité, ce n'est pas d'intercepter les migrants avant qu'ils ne partent, mais plutôt de trouver une solution pérenne pour créer des emplois qui puissent retenir ces jeunes.

Le président Déby l'a déjà dit, il souhaite que l'Europe s'engage sur un plan de développement. Une sorte de plan Marshall pour l'Afrique et en particulier pour le Sahel. Pas de réactions officielles encore du côté du Niger et de la Libye, autres pays concernés par ces centres d’accueil de migrants.

A l'heure qu'il est, c'est sans doute du côté des organisations humanitaires que les critiques sont les plus vives. Amnesty International demande à la France de reconsidérer radicalement sa politique migratoire. L'organisation dénonce un traitement binaire de la question. Human Rights Watch s'inquiète des risques pour le droit et la dignité des personnes que pourrait engendrer la nouvelle politique d'Emmanuel Macron.

Ouvrir un centre d'examen en Libye n'est pas réaliste aujourd'hui, insiste de son côté Médecins sans Frontières qui précise qu’il n’est pas envisageable d'exposer des migrants qui se cachent aujourd'hui par peur des mauvais traitements. Leur demander de se rendre dans ces centres d'examen, c'est les mettre en danger souligne MSF.

Enfin, du côté des partenaires européens,  on ne sent pas non plus pas un enthousiasme démesuré. Néanmoins, selon l’Elysée, une première mission doit partir fin août pour voir ce qui est possible.

"Hotspots" en Libye : que veut dire Emmanuel Macron ?

"Hotspots" en Libye : que veut dire Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron s'exprime sur l'immigration à Orleans, le 27 juillet 2017. (Michel Euler / POOL / AFP)

En visite dans un centre d’hébergement de réfugiés, à Orléans, Emmanuel Macron a fait plusieurs annonces, concernant notamment les demandeurs d’asiles sur le sol africain. L’Obs les décrypte avec Pascal Brice, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés.

Les annonces sont venues en deux temps, jeudi 27 juillet, lors de la venue du président de la République à Orléans, où il visitait un centre de d’hébergement de réfugiés. D’abord, Emmanuel Macron a déclaré à des journalistes vouloir "ouvrir des hotsposts en Libye, afin d’éviter aux gens de prendre des risques fous alors qu'ils ne sont pas tous éligibles à l'asile." Un objectif d’autant plus ambitieux qu’il rajoutait ensuite : "Je compte le faire dès cet été."

Mais quelques minutes plus tard, lors du discours officiel, toute référence à ces hotspots libyens et à ce calendrier avait disparu, le président adoptant un ton plus prudent :
"Je souhaite que l’Union Européenne, et à tout le moins la France le fera, puisse aller traiter les demandeurs d’asile au plus près du terrain. [...] C’est pourquoi nous développerons des missions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) [...] sur le sol africain, dans les pays sûrs."
Quelle est la nature précise de ces missions ? A quel horizon seront-elles effectives ? "L’Obs" s’est entretenu avec Pascal Brice, directeur général de l’Ofpra, pour répondre à ces questions.

Quelles sont les missions que vous a assignées le Président de la République ?
Ces missions s’inscrivent dans deux cadres différents. D’abord, le président de la République nous a demandé d’agir directement dans des pays qui se trouvent sur les routes de l’exil, voisins de la Libye, dans les pays du Sahel qui l’accepteront. Là, nous devrons mener une mission de protection, sur le modèle de ce que nous faisons pour les Syriens en lien avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Depuis 2014, des équipes de l’Ofpra sont placées dans les pays voisins, en Turquie, au Liban, en Jordanie, voire en Egypte, pour entendre des demandeurs d’asile syriens et permettre l’accueil en France de ceux qui relèvent du droit d’asile.

Il s’agit de s'inspirer de cette expérience pour envoyer des équipes de l’Ofpra dans les pays concernés, de manière à y entendre des demandeurs d’asile. Il faut faire en sorte que le plus de demandeurs d’asile possible, dans des limites qui seront fixées par le Gouvernement, soient pris en compte avant l’enfer libyen ou celui de la Méditerranée.

Le deuxième type de mission est en lien avec les hotspots en Italie. L’Ofpra va, si les  autorités italiennes en sont d’accord, renforcer son intervention  auprès des demandeurs d’asile qui arrivent en Italie et qui relèvent du programme de relocalisation, principalement des Erythréens dont le besoin de protection est évident au regard de la situation dans leur pays. Nous nous trouvons déjà à Athènes depuis un an et demi, où nous agissons dans le cadre de la politique de relocalisation décidée par le Conseil européen. Nous y entendons des demandeurs d’asile syriens et irakiens principalement.


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Par hypothèse, il pourrait s’agir de faire la même chose en Italie, principalement pour les Erythréens. Sachant que des officiers de protection de l’Ofpra sont déjà présents, avec d’autres collègues européens, à l’arrivée des bateaux dans les ports italiens, pour informer les demandeurs d’asile relevant de la relocalisation des démarches à suivre, l’idée serait donc de renforcer très nettement notre présence et d’aller au-delà de la simple information.

Pour ce qui est de la première partie de ces missions, sur le sol africain, comment vous organiserez-vous, concrètement ? Serez-vous présent dans les consulats, à des points de passage ?

Au Proche-Orient, l’Ofpra travaille avec le HCR, dans des infrastructures variables : locaux des ambassades, hôtels, camps, en fonction de ce qui est le mieux pour les demandeurs. Nous nous en inspirerons. Mais il s’agit de modalités opérationnelles que nous allons travailler d’abord avec les pays concernés et les organisations internationales qui sont nos partenaires habituels, pour pouvoir nous mettre en place rapidement.

L’Ofpra a désormais une grande expertise pour de telles opérations de protection, puisque depuis trois ans, il y a pratiquement  toujours une de nos équipes à Amman, au Caire, à Ankara ou à Beyrouth.

Quid des centres pour migrants en Libye, annoncés dans un premier temps par Emmanuel Macron ?

Dans son discours d’Orléans, le Président a évoqué des missions de protection au Sahel dans le voisinage de la Libye. Mais la situation dans ce dernier pays ne permet pas, dans l’immédiat, de s’y installer. Nous préparons activement cette projection des équipes de l’Ofpra et une mission se rendra sur place à cette fin vers la fin du mois d’août.

Ces missions de protection que nous préparons permettront d’entendre des demandeurs d’asile afin de permettre, dans une ampleur qui sera fixée par le Gouvernement, l’accueil en France de celles et ceux qui relèveront bien du droit d’asile. Les autres ne relèvent pas de la compétence de l'Ofpra.

Combien de personnes seront concernées par cette mesure ?

Le nombre des personnes à accueillir en France dans ce cadre sera fixé par le gouvernement. Si la question porte sur l’éligibilité à l’asile des personnes que nous entendrons sur place, tout dépend toujours d’un examen de la situation de chacun. Mais quand on regarde les nationalités de celles et ceux qui prennent les routes de l’exil vers la Libye, une large majorité des personnes qui arrivent en Italie par cette voie viennent de pays pour lesquels les craintes, au regard du droit d’asile sont faibles. Il s’agit notamment beaucoup de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. Si l’on regarde plus à l’Est, la situation est différente, avec notamment des Erythréens et des Soudanais pour ceux qui viennent de régions en guerre comme le Darfour.

On peut cependant comparer avec les personnes qui arrivaient en Grèce jusqu’en mars 2016, date de l’accord entre l’UE et la Turquie. Là, il s’agissait très largement de personnes qui relevaient du droit d’asile venant de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan. En Italie, en général, on n’est plus dans le même cas.

Justement, que répondez-vous à ceux qui estiment que cette politique ne permettra que de traiter une petite partie du problème ?

Ce n’est pas comme ça que nous réfléchissons. Nous sommes au nom des principes fondamentaux de la République,  au service des persécutés et des victimes des guerres, du droit d’asile. Dès lors que l’on sera en mesure de protéger des personnes relevant du droit d’asile, de leur éviter les tortures et les viols en Libye et la noyade en Méditerranée, ce sera mission accomplie pour l’Ofpra. Nos missions au Proche-Orient ont déjà concerné 10.000 personnes. Ce n’est pas rien.

Nous allons pouvoir poursuivre, sur le sol africain. Nous renforçons ainsi encore notre intervention à chaque étape des routes de l’exil : au plus près des pays de départ, aux frontières externes de l’UE et bien sûr sur le territoire national.

"Des hotspots en Libye ? Ce n’est ni faisable, ni souhaitable"

Interrogées par ""l’Obs" au sujet du discours d’Orléans, les ONG sont un plus sceptiques. Marine De Haas, spécialiste des questions européennes à La Cimade, approuve la volonté de "donner la possibilité d’être entendu et d’obtenir un visa sans prendre de risques", mais "à condition que cela n’empêche pas de faire les mêmes démarches à ceux qui ont traversé la Méditerranée."

Mais c’est surtout le raisonnement à l’œuvre qui les inquiète. "On est complètement dans la politique européenne de ces dernières années, explique Marine De Haas, c’est-à-dire dans une dynamique d’externalisation des politiques migratoires et du contrôle des frontières extérieures. L’Europe veut coopérer avec des Etats-tiers pour empêcher les personnes ne dépendant pas du droit d’asile d’arriver sur leur territoire."

Pour Jean-Guy Vataux, chef de mission pour Médecins sans frontières (MSF) en Libye, "la création de hotspots dans le sud Libyen n’est ni faisable, si souhaitable, en tout cas pour les migrants." La Libye, qui n’a pas signé les différentes conventions sur les réfugiés, semble en effet loin d’être un partenaire stable.

"Le problème, c’est que la part de ceux qui dépendent du droit d’asile, tel que nous le définissons, est minime au sein de ces migrants. Dans les centres de détention libyens, l’OIM estime à 7.000 personnes celles pouvant demander l’asile. Contre 200.000 arrivées en Italie", rappelle le chef de mission.

"Les migrants ne se rendront même pas dans ces hotspots, continue-t-il. Quel serait leur intérêt, s’ils sont sûrs d’être renvoyés ou emprisonnés ?"

Et de s’interroger sur les modalités d’attribution du droit d’asile : "Quand on voit que le Ministère des affaires étrangères peut ne pas conseiller certains pays aux Français, et ne pas accorder le droit d’asile à des ressortissants de ces pays… Peut-être faudrait-il également considérer non seulement la provenance, mais aussi les souffrances rencontrées durant leur parcours. Leurs conditions de vie durant leur trajet sont terribles, et elles exigent qu’on les protège."
 Propos recueillis par Martin Lavielle
Martin Lavielle

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