mardi 17 octobre 2017

A Ceuta, les migrants homosexuels doublement dans l’impasse

Dans l’enclave espagnole, des dizaines de gays tentent d’obtenir l’asile en Europe. Mais leur orientation sexuelle ne suffit pas à prouver qu’ils sont en danger dans leur pays.


Ismaël* ne fuit pas la guerre. Ni la misère. Il est marocain, homosexuel et a quitté son pays à cause de « ça » : « Les gays sont détestés chez nous. Ils provoquent une sorte de malaise chez les gens. Ils les dérangent profondément pour des raisons qui m’échappent encore. » La culture, la religion. La loi surtout. S’ils ne peuvent pas se comporter librement, les homosexuels craignent avant tout pour leur sécurité. Dans un pays où les relations sexuelles entre personnes du même sexe, dites « contre nature », sont passibles de trois ans de prison, ils risquent non seulement d’être incarcérés, mais aussi d’être agressés et persécutés au quotidien.

 
Il y a neuf mois, Ismaël s’est rendu à Ceuta pour demander l’asile en Espagne sur la base de son orientation sexuelle. Originaire d’Oujda, dans le nord-est du royaume, le jeune homme de 24 ans vit depuis dans le centre d’accueil temporaire pour les immigrés (CETI), à Ceuta. Là, environ 80 homosexuels ont trouvé refuge parmi plus de 900 migrants – le centre abrite presque le double de sa capacité. La plupart sont marocains et algériens, mais il y a aussi des subsahariens. Par peur de représailles des autres habitants du centre, l’équipe du CETI donne très peu d’informations sur ce groupe particulièrement vulnérable.

Roué de coups par trois hommes

A Melilla aussi, l’autre frontière terrestre entre l’Afrique et l’Union européenne, plusieurs dizaines d’homosexuels espèrent obtenir le statut de réfugié. Ils rêvent de se retrouver sur une terre « où l’on peut être soi-même, sans se méfier constamment », explique Ismaël.

Pour lui, le cauchemar a commencé à l’école. « Durant toute ma scolarité, j’ai été malmené parce que j’étais le petit pédé », confie le jeune Marocain. En 2016, Ismaël a été agressé dans la rue, roué de coups par trois hommes qui le suivaient dans les rues d’Oujda. « Quand je suis allé porter plainte, les flics ont compris que j’étais gay. Ils m’ont demandé pourquoi les hommes m’avaient frappé. Puis ils m’ont posé des questions qui n’avaient rien à voir avec l’agression et ont confisqué mon portable. » En fouillant son téléphone, la police a trouvé des photos compromettantes. Ce soir-là, Ismaël n’est pas rentré chez lui. « Ils m’ont jeté dans une cellule. Trois semaines plus tard, j’étais jugé pour homosexualité. » Verdict : deux mois de prison ferme.

 
Au Maroc, les arrestations et les violences homophobes se sont multipliées ces dernières années. En 2015, deux hommes ont été arrêtés pour s’être embrassés dans la rue à Rabat. Leur photo d’identité a été dévoilée à la télévision publique, ce qui avait entraîné des manifestations devant leur domicile. Un an plus tard, le lynchage d’un couple d’homosexuels à l’intérieur de leur maison à Beni Mellal a particulièrement marqué les esprits. Malgré les cris d’alarme des associations et des organismes internationaux, le gouvernement marocain refuse de changer de position. Le ministre d’Etat chargé des droits de l’homme, Mustapha Ramid, a même qualifié les homosexuels « d’ordures », en marge d’une réunion du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) sur la prévention de la torture fin septembre. La vidéo de ses propos homophobes, qui ne sont pas les premiers, a été diffusée le 12 octobre sur Internet et provoqué l’ire des associations de défense des droits de l’homme.

Mais la chasse aux homosexuels ne sévit pas qu’au Maroc. Selon le rapport 2017 de l’Association internationale LGBT (ILGA), 72 pays pénalisent toujours l’homosexualité. En Iran, au Nigeria, au Soudan, en Somalie ou encore en Arabie saoudite, elle est passible de la peine de mort. Partout dans le monde, des femmes et des hommes quittent leur pays pour fuir les violences réservées aux minorités sexuelles. Une information qui échappe aux statistiques car, la plupart du temps, ces migrants masquent les motifs réels de leur exil forcé, compliquant davantage leur accès à l’asile.

« Persécution pour orientation sexuelle »

Depuis un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu en novembre 2013, les homosexuels peuvent officiellement revendiquer appartenir à un « certain groupe social ». Une condition nécessaire pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la Convention de Genève. Avant cette date, plusieurs pays, dont l’Espagne, avaient déjà commencé à accueillir des migrants pour « persécution pour orientation sexuelle ».

Encore faut-il le prouver. Car, dans sa décision, la CJUE stipule que la persécution doit atteindre « un certain niveau de gravité ». L’existence d’une loi pénalisant l’homosexualité dans le pays d’origine ne suffit pas à donner droit au statut de réfugié. Les procédures varient selon les pays, qui doivent évaluer eux-mêmes la crédibilité de la requête. « Les pays européens estiment qu’il faut réduire l’octroi du statut de réfugié dans les pays du Maghreb, considérés comme stables. C’est vrai que le Maroc est un pays sûr, mais pas pour tout le monde. La communauté LGBT est persécutée de fait, puisqu’elle doit se cacher et vivre dans la peur », avertit une membre du collectif Aswat, qui milite anonymement depuis 2013 pour la défense des minorités sexuelles au Maroc.

Pour constituer un dossier de demande d’asile liée à leur homosexualité, les migrants doivent apporter les preuves de la discrimination fondée sur leur orientation sexuelle ou sur leur identité de genre. « Ils veulent des photos des coups portés sur notre corps. Un certificat de passage à l’hôpital, un casier judiciaire, un enregistrement… Et, en plus, démontrer que cela est lié à notre orientation sexuelle », témoigne, découragé, un Algérien de 32 ans qui n’a pas réussi à rassembler tous les papiers.

Climat de méfiance

Beaucoup renoncent ainsi à demander l’asile. Sur environ 80 homosexuels au CETI de Ceuta, seule une douzaine a déposé une requête, d’après l’ONG Human Rights Watch (HRW). Outre la complexité des dossiers, la lenteur de la procédure décourage les migrants. Depuis la décision de la CJUE en 2013, face à l’afflux des demandes, les autorités espagnoles ont ralenti l’examen des dossiers, soupçonnant parfois des cas de migrations économiques déguisées.

Désormais, il faut attendre au moins un an avant d’être transféré vers la péninsule. « Pour atteindre plus vite les côtes européennes, ils préfèrent tenter leur chance et se faire expulser en Espagne en tant que migrants clandestins, explique Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de HRW. Les autorités espagnoles imposent un choix terrible à des personnes qui ont besoin de protection. Ils opèrent une politique de découragement qui est inadmissible. »

 
Au CETI, l’attente est longue. Surtout pour ces dizaines de migrants homosexuels vivant toujours dans la menace. « Ceuta, c’est comme le Maroc, regrette Ismaël. Presque naïvement, peut-être pour me donner de l’espoir, j’ai pensé qu’en arrivant ici, je serais enfin en sécurité. » Mais à l’intérieur du centre comme dans les rues de Ceuta, les personnes LGBT sont toujours persécutées. « Deux personnes ont été agressées sexuellement dans le centre-ville », poursuit le jeune Marocain.

 
Pour certains migrants du CETI, l’homosexualité est vue comme un prétexte. « Si tu dis que tu es gay, on te donne l’asile tout de suite. C’est faux ! », déclare un Nigérian de 28 ans. « Peut-être que c’est vrai et que ce n’est pas facile pour eux, reconnaît un autre Nigérian. Mais nous, on a de vrais problèmes. On devrait passer avant eux ! » Dans ce climat de défiance, Ismaël, comme les autres membres de ce petit groupe fermé, ne sort pratiquement plus. Il se fait discret, protégé par les travailleurs sociaux. « Si les autres migrants apprenaient ce qu’on fait ici, ils nous tueraient. »

* Le prénom a été modifié.

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