mercredi 18 avril 2018

Immigration: qu’est-ce que le «délit de solidarité» ?

Un aménagement de ce délit pourrait être discuté lors de l’examen du projet de loi asile-immigration qui démarre lundi à l’Assemblée nationale.


LE MONDE, LES DÉCODEURS | | Par


Martine Landry, Cédric Herrou, Pierre-Alain Mannoni... des affaires qui ont rouvert le débat sur l’aide que peuvent porter des particuliers aux migrants.

Le procès de la retraitée Martine Landry, poursuivie pour « délit de solidarité » pour avoir aidé deux mineurs étrangers à la frontière italienne, a été reporté, le 11 avril, au 30 mai prochain. Précédemment, l’agriculteur Cédric Herrou a été condamné à quatre mois de prison avec sursis tandis que le professeur du CNRS Pierre-Alain Mannoni a, lui, été relaxé.

Les personnes qui aident les migrants à traverser une frontière risquent jusqu’à cinq ans de prison et 30 000 euros d’amende. Des peines qui pourraient évoluer dans le cadre de la discussion à l’Assemblée nationale de la loi asile-immigration, qui commence lundi 16 avril. Les associations de défense des droits de l’homme et des migrants demandent l’abrogation de ce délit. Un amendement, soutenu par la député de la majorité Sandrine Mörch, pourrait l’aménager.

Comment est-il défini dans la loi?

Le « délit de solidarité » n’existe pas en tant que tel, c’est un slogan politique qui résume une situation, sans exister juridiquement à proprement parler. Aucun texte de loi ne mentionne ce terme. Il fait toutefois référence à l’article L 622-1 du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui date de 1945.

Il dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France » encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Si ce texte est censé lutter contre les réseaux clandestins de passeurs et de trafic humain, son utilisation contre des bénévoles et des citoyens venant en aide à des migrants lui a valu cette appellation.

L’expression « délit de solidarité » est apparue en 1995, lorsque le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), une association qui « milite pour l’égal accès aux droits et à la citoyenneté sans considération de nationalité et pour la liberté de circulation » initie un « manifeste des délinquants de la solidarité » à la suite de la multiplication de procès contre des Français ayant aidé des sans-papiers.

Quelles sont les exceptions à ce délit ?

Plusieurs mobilisations ultérieures permettent l’introduction d’une immunité familiale, dans le cas d’un lien de parenté ou d’un lien conjugal avec le sans-papiers, avec les lois Toubon du 22 juillet 1996 et Chevènement du 11 mai 1998. En 2003, une exception à ce délit est ajoutée au texte de loi, le « danger actuel ou imminent » pesant sur l’étranger et pouvant justifier de lui venir en aide.
Après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, les associations de sans-papiers dénoncent un usage de plus en plus fréquent de l’article punissant le « délit de solidarité », contre leurs membres ou d’autres citoyens venant en aide aux migrants. Au cours de l’année 2009, en seulement trois mois, une quinzaine de responsables de centre Emmaüs sont inquiétés par la police. Face à la politique du ministère de l’immigration et de l’identité nationale, menée par Eric Besson, des milliers de personnes se déclarent « délinquants solidaires » et appellent à la suppression de ce délit.

En mars 2009, une proposition de loi présentée par le Parti socialiste pour « dépénaliser toute aide (entrée, séjour, transit) faite à un migrant lorsque la sauvegarde de sa vie ou de son intégrité physique est en jeu », est rejetée par l’Assemblée nationale. En juillet de la même année, le ministre Eric Besson reçoit tout de même les associations pour des négociations. S’il refuse de toucher à l’article L 622-1, il demande dans une circulaire aux procureurs d’interpréter largement les conditions dans lesquelles le soutien aux immigrés clandestins est justifié.

Le « délit de solidarité » a-t-il été abrogé par la gauche ?

Après la victoire de François Hollande, en 2012, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, promet qu’il va mettre fin au « délit de solidarité », c’est-à-dire, selon lui, à l’ambiguïté du texte de loi qui sanctionne l’aide désintéressée apportée à des étrangers en situation irrégulière.

La loi du 31 décembre 2012 introduit ainsi une distinction claire entre des réseaux de trafic et les bénévoles et membres des associations. Le texte précise ainsi qu’aucune poursuite ne peut être engagée si l’acte « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».

Cette réécriture n’a pas convaincu les associations, notamment parce que le texte mentionne l’aide au séjour mais n’évoque pas l’aide à l’entrée ou la circulation au sein du territoire français, ce qui met encore en danger les personnes transportant des migrants.

Les derniers procès relevant du « délit de solidarité »

Des cas récents montrent que les modifications faites par Manuel Valls n’ont pas empêché la poursuite de bénévoles ayant aidé des migrants. Outre Cédric Herrou, trois procès ont eu lieu sous le quinquennat Hollande, démontrant un décalage entre la position du parquet et la volonté affichée par Manuel Valls (qui a déclaré notamment devant la commission du Sénat le 25 juillet 2012 : « Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable. »)

En avril 2016, Fernand Bosson, conseiller municipal et ancien maire de la commune d’Onnion (Haute-Savoie), a été jugé par le tribunal correctionnel de Bonneville pour avoir hébergé pendant deux ans une famille kosovare déboutée du droit d’asile. Il a finalement été déclaré coupable mais dispensé de peine – le procureur avait pourtant requis une amende de 1 500 euros.

Huit mois plus tard, s’est tenu le procès de Pierre-Alain Mannoni, professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis et chercheur au CNRS. Niçois, il avait transporté trois Erythréennes blessées, d’un camp illégal de migrants dans la vallée de Roya à la gare de Nice, afin qu’elles rejoignent Marseille pour se faire soigner.

Dans la vallée de la Roya, une zone montagneuse située entre l’Italie et la France, de nombreux migrants incapables de passer la frontière, restent bloqués et un collectif d’habitants s’est créé dans la région pour leur venir en aide. Ces épisodes juridiques pourraient encourager le législateur à lever le flou sur les limites du « délit de solidarité ».


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